Entretien avec Paul Vergonjeanne

En 2020, la Fondation Mérimée, avec le soutien de la Compagnie des Architectes en Chef des Monuments Historiques, a attribué une bourse de 5 000 € à Paul Vergonjeanne, doctorant à l’École Nationale Supérieure d’Architecture Paris-Malaquais et par ailleurs compagnon tailleur de pierre. Cette bourse de 5 000 euros permet d’apporter un soutien au doctorant pour faciliter son travail de recherche. Nous l’avons rencontré afin qu’il puisse nous partager ses dernières découvertes.

Fondation Mérimée (F.M.) : Après une formation de tailleur de pierre, vous avez décidé de vous consacrer à un projet de thèse ambitieux. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Paul Vergonjeanne (P.V.) : J’ai d’abord commencé par un DUT (diplôme universitaire de technologie) en génie civil pour les bâtiments et les travaux publics. Grâce à deux stages, j’ai découvert la charpenterie et la taille de pierre. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de me consacrer à la restauration de monuments historiques. J’ai alors suivi un CAP (certificat d’aptitude professionnelle) en taille de pierre avec l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir du Tour de France.

Après avoir œuvré à la restauration de la cathédrale Saint-André, à Bordeaux, et sur différents chantiers dans les vignobles bordelais, j’ai continué à me former dans le Finistère puis dans les Pouilles, en Italie. Par la suite, j’ai travaillé à Rodez, toujours en alternance chez les Compagnons, avant finalement de passer un an à Madrid pour suivre l’équivalent d’un master au sein de l’École technique supérieure d’architecture de Madrid. C’est suite à cette expérience que j’ai décidé de m’orienter vers un doctorat.

Je réalise aujourd’hui une thèse en collaboration avec le Laboratoire Géométrie Structure Architecture (GSA) de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Malaquais et avec l’École Supérieure d’Architecture de Madrid (ETSAM).

F.M. : Votre thèse porte sur un sujet très précis qui est l’utilisation de joints complexes dans l’architecture de l’époque médiévale. Pouvez-vous nous expliquer de quoi s’agit-il ?

P.V. : Un joint est la surface de contact entre les pierres qui forment un arc ou une voûte et a pour rôle d’assurer le soutien de l’ouvrage. La plupart du temps, cette surface est plane. On parle de joints complexes dès lors que la surface de contact n’est pas plane et que les pierres viennent s’emboîter entre elles pour assurer la jonction de la voûte. Il existe différents types de joint complexe, tels que les joints à tenon, les joints courbes…

Mon travail de recherche m’amène essentiellement en Picardie et dans le Nord-Est de la région parisienne, où j’ai identifié plusieurs monuments présentant des joints complexes. Je concentre mon étude sur le XIIème siècle car c’est une période de transition très intéressante entre l’architecture romane et gothique.

F.M. : Avez-vous des exemples de monuments à nous donner, français ou étrangers ?

P.V. : En France, nous pouvons citer, l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul à Villers-Saint-Paul, dans l’Oise, l’église Saint-Etienne de Beauvais, dans l’Oise également, ou encore le château de Septmont, dans l’Aisne. Nous retrouvons aussi des exemples de joints complexes à l’étranger et notamment au Moyen-Orient. L’édifice le plus ancien que l’on connaisse avec des joints complexes est la porte Bab el Nasr, au Caire, construite en 1087.  Plus tardif, au XIIIème siècle, on peut citer le caravansérail de Sultanhani, en Turquie.

F.M. : Pouvez-vous nous expliquer la problématique autour de ces joints complexes ?

P.V. : Le XIIème siècle est une période majeure pour l’architecture, marquée notamment par de grandes innovations liées aux techniques de construction. Ma thèse a pour objet de déterminer si l’utilisation de joints complexes répond à une contrainte mécanique ou s’il s’agit d’un choix purement esthétique.

Pour pouvoir y répondre, j’effectue de nombreux tests dans l’atelier des Compagnons du Devoir, à Champs-sur-Marne. Jusqu’à présent, mes expérimentations ont révélé que le recours aux joints complexes n’était pas lié à un rôle mécanique. Je m’attache également à comparer et à classifier les différentes typologies de joints complexes.

Test de poids sur des joints complexes © Paul Vergonjeanne

F.M. : Le sujet de vos recherches est aujourd’hui méconnu et peu documenté. La publication de votre thèse permettra-elle de mieux appréhender les monuments qui présentent des joints complexes et donc de faciliter leur restauration ?

P.V. :  Le recensement et l’étude des joints complexes permettront à l’avenir, je l’espère, une restauration plus réfléchie des monuments qui sont concernés par cette technique. Jusqu’à présent de nombreuses restaurations ont été menées sans prendre en compte l’intérêt patrimonial des joints complexes, or la rareté de ces ouvrages doit nous conduire à être très attentifs.

F.M. :  Quels bénéfices tirez-vous de l’attribution de notre bourse ?

P.V. : Ma thèse n’étant pas financée, j’enseigne en parallèle la taille de pierre. La bourse qui m’a été accordée m’a permis de me libérer du temps, ce qui a été très bénéfique pour avancer sur mes recherches. En principe, je dois soutenir ma thèse en 2024.

La bourse a également apporté de la visibilité à mon travail. En début d’année, après avoir découvert de nouveaux exemples de joints complexes dans l’Aisne, j’ai été admis en résidence à l’école d’architecture d’Austin au Texas. Grâce à cette expérience, j’ai eu l’opportunité d’écrire un article pour le journal Construction History Society (https://www.constructionhistory.co.uk).

F.M. :  Votre sujet de recherche, comme votre parcours, permet de bâtir des passerelles entre théorie et pratique. Après la soutenance de votre thèse, pensez-vous continuer la recherche ou opter pour la pratique ?

P.V. : Mon souhait est de conserver les deux aspects – théorie et pratique – car je pense que l’un ne fonctionne pas sans l’autre.  Après la thèse, j’aimerais mettre à disposition les compétences que j’aurais acquises pendant mes années de recherche pour réaliser des études et des diagnostics sur des monuments historiques qui doivent être restaurés. Je souhaite également continuer à enseigner car j’accorde une grande importance à la transmission.


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